Commune de Touverac
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Mémoire d’un ancien salarié de la laiterie de Baignes

TOUVERAC est une commune mitoyenne de BAIGNES. Elles ont une rue commune, c’est la rue des
Tilleuls.
La commune de TOUVERAC possédait un atout majeur à son développement « sa laiterie ». Appelée
laiterie de Baignes, dieu seul sait pourquoi, elle était implantée sur la commune de TOUVERAC.
Aujourd’hui fermée, elle dut sa création à un coup de tête, beaucoup de culot et un très grand esprit
d’entreprise.
Son créateur François HILLAIRET, né le 16 mars 1848 au lieudit « La Perdasse » commune de SAINTE
RADEGONDE.

Il était agriculteur et production de lait. Un différend avec un industriel laitier de Barbezieux, lui fit
comprendre qu’il n’était pas bon d’être à la merci d’une seule personne. Alors, il réunit quelques autres
producteurs et ils mirent en commun leurs quelques économies, achetèrent un local, une écrémeuse
et une baratte. La laiterie de Baignes était créée, c’était le 1er juillet 1893.


Au-delà de l’histoire, cette création illustre un phénomène économique important pour la région.
L’industrie laitière qui venait de naître en Charente arrivait à son heure, le blé était à un très bas prix,
les vignes avait le phylloxera et les produits de la ferme s’écoulait difficilement.
En attendant l’introduction des porte-greffes américains, les agriculteurs se mirent à la production de
fourrage et de lait, fortement encouragés par les nombreux vendéens, qui s’installaient dans la région
et qui avait une bonne expérience de la production animale.
C’est ainsi que naquirent à la fin du 19ème siècle, dans les deux Charentes et le Poitou, toutes ces
coopératives laitières qui devinrent productrices de ce « Beurre des Charentes » encore renommé un
siècle après.


La laiterie de Baignes, dirigée par M. HILLAIRET entouré de quelques producteurs, se développe
rapidement. Sa collecte s’étend sur les communes voisines de Baignes, débordant les frontières du
canton pour aller chez nos voisins en Charente Maritime.
Une véritable petite usine remplace bientôt le modeste atelier du départ. Le beurre en motte, part
chaque matin, pour les halles de Paris, car Baignes possède alors sa gare.
Le lait écrémé est transformé en caséine dans une usine jouxtant la beurrerie et qui deviendra plus
tard, la Caséine Coopérative de Baignes. Elle devait par la suite recevoir le lait écrémé de nombreuses
laiteries des Charente et du Sud-Ouest.
Le sérum, dernier sous-produit, sert à engraisser des porcs dans la porcherie de « Chez Cosson » qui,
très vite, se double d’un atelier d’élevage qui a vu jusqu’à deux cent cinquante truies mères produisant
plus de 4000 porcs par an.
Cet ensemble économique, jusqu’à la première guerre, s’enracina solidement, puis connut entre les
deux guerres, un important essor. Monsieur HILLAIRET disparu (décédé à St Estèphe, le 23 février
1927), l’affaire fut dirigée par M. CLAUZIT, en attendant que son petit-fils M. BERRUCHON puisse la
prendre en main, ce qu’il fit jusqu’en 1954.
Le beurre, s’il gardait encore sa présentation en mottes, nécessairement anonyme pour le
consommateur, fut rapidement conditionné en présentations individuelles, plaquettes et rouleaux.
La production de beurre de Baignes allait du cube de 25 kg destiné au stockage, en passant par les
mottes de 10 et 5 kg, puis :
Les pains « milan » de 5 et 3 kg, les rouleaux de 1 kg, les pains fermiers de 500 g, les rouleaux de 500
g, 250 g et 125 g, et
Les plaquettes de 250 g et 125 g
Et pour terminer les micropains de 13.9 et 10 g


Ces micropains étaient servis dans les collectivités, les restaurants. A cela s’ajoutait une production de
crème fraiche.
C’est alors que commença la notoriété du « beurre de Baignes », toujours bien vivante sur le marché.
La création progressive d’un important réseau de représentants, permit en quelques années, une
implantation significative dans tout le sud de la France en plus du marché parisien, sans oublier
l’Algérie et notamment Oran.
Avant la guerre de 1940, la production annuelle était de l’ordre de 500 tonnes, ce qui situait le beurre
de Baignes parmi les grandes laiteries des Charentes.
Puis vint la guerre, l’occupation et les problèmes n’épargnèrent personne.
La paix revenue, lorsqu’au bout de quelques années, l’économie agricole repartit, une nouvelle équipe
d’hommes sous la présidence de Monsieur CHARPENTIER, dut affronter de nombreux problèmes
nouveaux : paiement du lait, non plus seulement au litre, mais à la richesse en matière grasse, ce qui
constituait une petite révolution, puis, paiement à la qualité bactériologique. En même temps de
nouvelles techniques de fabrication faisaient leur apparition et, surtout, la distribution des produits
alimentaires changeait de visage.
L’usine, dans les années 50, fut d’abord rénovée, puis, au milieu des années 60, complètement
repensée et reconstruite.

D’autres laiteries s’étaient associées à la laiterie de Baignes.
Toute cette évolution était consécutive à une importante extension de la zone des collectes faisant
suite à la disparition de nombreuses petites laiteries. Celle-ci n’ayant pas les moyens de s’adapter aux
nouvelles conditions tant de fabrication que de mise sur le marché.
C’est ainsi que les producteurs du Blayais, de Chepniers, de Montguyon, de Médillac puis de
Montendre vinrent grossir les rangs des producteurs de Baignes. La zone de ramassage allait alors de
Saint Aulaye en Dordogne aux portes de Jonzac et de Barbezieux à Saint André de Cubzac.
Les cinq ou six cents sociétaires des années 50 étaient devenus 6000 produisant entre 60 et 70 millions
de litres annuels, auxquels s’ajoutèrent les 15 millions de litres de la coopérative de Bergerac. La
production de beurre de Baignes, au début des années 70, étaient de 5000 tonnes d’un produit
respecté et considéré par le marché comme un produit « haut de gamme » bénéficiant d’une image
nationale.
PETIT HISTORIQUE DE LA FABRICATION DU BEURRE DE BAIGNES DANS LES ANNEES 70

Pour ce faire, tout commence, avec, bien sûr, la vache. Pas n’importe quelle vache. Une Vache qui s’y
entend comme fournisseur de bon lait. Propres à être transformée en BON BEURRE ; donc une Frisonne
ou normande.
Nourries dans les prairies charentaises, qui n’ont rien à envier, grâce aux conseillers techniques dont
les coopérateurs savent s’entourer, aux autres herbages. La vache et ses congénères vont assurer en
moyenne une provision journalière de plusieurs milliers de litres de lait.
Un lait trait dans des conditions d’hygiène dûment contrôlée et versé aussitôt dans des « tanks »
refroidisseurs, afin de lui assurer dès sa sortie du pis une parfaite conservation.
Mais très vite les camions de ramassage,
bien équipés pour assurer les conditions optima de transport, sont à pied d’oeuvre. Camions, qui après
avoir sillonné les routes, s’être arrêtés chez tous les sociétaires, arrivent en fin de matinée à la laiterie
Aussitôt filtré, le lait passe alors immédiatement dans des conteneurs d’une capacité globale de 60 000
litres permettant de régulariser le transfert en salle d’écrémage, tandis que dans le laboratoire, une
technicienne procède à une analyse de la matière grasse contenue pour en connaitre le taux et s’assurer
de la qualité bactériologique.
Dans les écrémeuses, la force centrifuge isole la matière grasse qui est aussitôt dirigée vers des bacs de
« normalisation ». Bacs, où l’on s’assure encore une fois de sa qualité et où l’on contrôle son acidité, au
cas où elle serait trop forte. La crème passe alors dans les blocs de pasteurisation. Portée à 90°, elle est
ensuite refroidie progressivement jusqu’à 4°, avant d’être dirigée vers les cuves de maturation, où après
réensemencement avec des ferments sélectionnés, un séjour d’une douzaine d’heures à une température
de 11°, contrôlée électroniquement va permettre sa stabilisation définitive.
Puis, c’est la phase finale : le passage dans le butyrateur pour le barattage. Ayant la consistance de la
« Chantilly » la crème est introduite dans un cylindre percé, animé d’un mouvement rotatif. Tandis que
sont éliminées les dernières traces de caséine et de lactosérum, la matière grasse malaxée, prend alors
la consistance de beurre. Beurre qui sans plus attendre, est « pris en charge » par la salle de
conditionnement où différents conduits cylindriques l’aiguillent automatiquement vers les différents
types d’empaquetage, sous lesquels on le retrouvera, quelques heures ou quelques jours plus tard sur
le marché.
L’ensemble du personnel, sur le site, regroupant les diverses activités autour du beurre de Baignes
s’élevait à environ 250 personnes (électricien, mécanicien, conducteurs de camions, secrétaires,
technicien, emballeurs, etc….).
Mais l’économie tant agricole que générale, évoluait vite. Les marchés des autres produits agricoles,
celui du Cognac en particulier, étaient florissants. Les techniques nouvelles provoquaient une véritable
révolution agricole pendant que nombre de jeunes exploitants supportaient de plus en plus mal les
contraintes journalières de la production laitière.
Dans le même temps, la consommation de beurre, en butte à la concurrence des margarines de toutes
espèces et des produits allégés, et surtout à une modification profonde du budget alimentaire des
français, diminuait progressivement. La distribution, quant à elle, passait inexorablement des mains
du commerce traditionnel à celles des grandes surfaces, avec, comme conséquence, des exigences
commerciales de moins en moins à la portée des entreprises moyennes.
Bien conscients de la gravité de ces différents facteurs, les responsables de la laiterie de Baignes
comprirent rapidement que, pour faire face à cette évolution, il était impossible qu’une entreprise
moyenne restât seule. Des contacts furent pris avec les autres coopératives charentaises. Deux unions
furent successivement créées avec, pour objectif, la mise en commun progressive des politiques et des
moyens. Il semblait qu’un ensemble coopératif laitier charentais serait capable d’affronter
efficacement les nouvelles conditions économiques.
Hélas, cette vision des choses n’était pas partagée par tous et il fallut se convaincre rapidement que,
si un regroupement départemental ou régional devait voir le jour, ce serait pour plus tard…. et sans
doute trop tard.
La vie n’attendant pas, et la vie économique encore moins que la vie tout court, il devint évident qu’une
autre « alliance » devait être trouvée. Un projet avec la Vendée fut caressé, puis abandonné.
C’est alors que Monsieur Francis NAU, directeur de la laiterie, pris des contacts avec l’Union Laitière
des Pyrénées ayant son siège à Toulouse, mais collectant aussi en Gironde et, avec laquelle « Baignes »
avait des accords commerciaux. En 1976, naquit ainsi l’Union Laitière Pyrénées Aquitaine Charentes,
devenue depuis, l’Alliance Agro-Alimentaire 3A.
Le beurre de Baignes se trouvait ainsi au milieu d’une gamme complète de produits laitiers et soutenu
par une « force de frappe » commerciale sans commune mesure avec des moyens propres. De plus,
les quantités de lait que la zone ne fournissait plus étaient compensées par celles d’autres secteurs de
l’Union.
Mais l’évolution ne s’est pas arrêtée. La production de lait dans notre zone a continué à diminuer : 400
producteurs avec seulement 30 millions de litres, soit plus de 50 % de diminution par rapport à 1975.
La consommation de beurre, elle, est passée, dans le même temps de 400 000 à moins de 300 000
tonnes pendant que le beurre de Baignes passait de 5 000 à 3 000 tonnes. Il faut ajouter à cette
désolante régression, que l’évolution technologique exige des beurreries de 15 à 20 000 tonnes par an
pour obtenir des prix de revient compétitifs
Ce sont ces différents facteurs qui expliquent que les responsables de l’Alliance Agro-Alimentaire, dont
fait partie la coopérative qui a d’ailleurs ses représentants au sein du Conseil d’Administration, se
demandent jusqu’à quand ils pourront conserver l’activité de la beurrerie de Baignes. La rentabilité est
devenue nettement insuffisante et toute entreprise qui veut continuer d’exister ne peut très
longtemps accepter une telle situation.
Aucun accord n’ayant été trouvé avec d’autres coopératives, la Direction de 3A, dont le siège est à
Toulouse, a décidé de fermer définitivement la « laiterie de Baignes », le 31 janvier 1994. Elle fait
fabriquer, désormais, en sous-traitance, le beurre Baignes par une laiterie du groupe Eurial, située en
Vendée à Bellevie sur Vie.
Pour moi, le beurre Baignes avec son goût traditionnel qui faisait la fierté du notre canton du Sud
Charente ne peut être fabriqué que dans l’usine qui l’a vu naitre à Touvérac en Charente.
Celui-ci a bel et bien disparu à la veille de ses 100 ans. Quel dommage !!!
D.B. salarié de 1971 à 1994